La connaissance a toujours été au coeur de la croissance économique et du développement des organisations. Ces dernières connaissent aujourd’hui une crise dans la transmission des savoirs (Foray, 2000).
Qu'il s'agisse de transfert vertical entre un maître et un apprenti ou de transfert horizontal entre praticiens, les organisations - en particulier multinationales - ne peuvent désormais plus s'appuyer sur des réseaux sociaux simples et peu coûteux. Sous l’effet d’un approfondissement de la distribution spatiale de leurs activités (éparpillement des sites de production et de commercialisation) et de la hausse des coûts de coordination de ces activités (réunions ou séminaires de transfert des savoirs), une nouvelle exigence est apparue pour les organisations multinationales : celle de la codification et du transfert de leurs bonnes pratiques.
Cette exigence s’est renforcée sous l’impulsion des nouvelles technologies de l’information et de la communication, celles-ci permettant de codifier, de stocker et de diffuser les bonnes pratiques à un coût marginal de plus en plus faible.
Par « bonnes pratiques » nous désignons toutes les connaissances procédurales (les savoir-faire) ou les apprentissages codifiés qui ont prouvé leur valeur aux yeux de l’organisation. Le processus de transfert des bonnes pratiques peut alors se définir comme une réutilisation des connaissances les plus utiles, c’est-à-dire comme « le processus selon lequel une unité (ex : une équipe, une division, un département) est affecté par l’expérience d’une autre » (Argote et Ingram, 2000: 151). Par exemple, un différentiel de performance d’une entité par rapport à une autre peut s’expliquer par l’utilisation effective d’une « bonne pratique » non détenue par l’autre entité (Szulanski, 2001).
Mais comme l’avait déjà constaté Michael Porter en 1985 en analysant le fonctionnement de ces multinationales, « l’infime espoir qu’une entité puisse apprendre quelque chose d’utile à partir de l’expérience d’une autre est très souvent un espoir non réalisé » (Porter, 1985 :352).
Alors que certaines recherches ont montré que le transfert intra organisationnel des bonnes pratiques a permis d’améliorer la performance d’entreprises manufacturières et d’entreprises de services (Ingram, 1999), la réalisation effective de ces transferts varie considérablement selon les organisations (Argote, 1999 ; Szulanski, 2003). Chacune de ces entités peut développer des pratiques qui lui est propre (Barney, 1992) et qui lui assure un avantage concurrentiel au sein même de l’organisation.
Transférer les bonnes pratiques est pourtant l’objectif principal des entreprises souhaitant devenir « apprenantes » (O’Dell et Grayson, 1998). Rares étaient celles qui, à la fin des années quatre-vingt dix, adoptaient une démarche concrète et opérationnelle permettant de relever ce défi. Les recherches menées dans le champ du management stratégique ont effectivement montré que ces transferts intra organisationnels étaient un processus plus coûteux et plus difficile que prévu (Szulanski, 1996 ; O’Dell et Grayson, 1998 ; Kostova, 1999). « Vous pouvez avoir deux usines situées l’une à côté de l’autre et il n’y a rien de plus compliqué que de transférer une bonne pratique de l’une vers l’autre » constatait ainsi le vice- président de Xerox (cité par O’Dell et Grayson, 1998 : 155).
Selon Szulanski (1996), les entreprises multinationales mettent en moyenne 27 mois pour transférer une bonne pratique d’une entité à une autre, ce qui a pour effet de diminuer leur compétitivité face à des concurrents plus véloces. Une étude réalisée en 1997 auprès de 431 entreprises nord-américaines et européennes par le cabinet de conseil Cap Gemini Ernst & Young montre que 94 % des responsables interrogées considéraient qu’ils devaient améliorer l’utilisation des connaissances détenues par leur entreprise (Ruggles, 1998).
C’est pourquoi nous avons assisté au cours des dix dernières années à l’émergence de structures dédiées à faciliter ces transferts de bonnes pratiques. De nombreuses organisations multinationales ont mis en place une stratégie de réplication (Szulanski et Winter, 2001) qui passe par la formalisation de rôles dédiés à ce processus. Le partage des bonnes pratiques est l’objectif numéro un de ces structures (KPMG, 2000) mais selon la même étude présentée précédemment, seulement 15% des responsables d’entreprises étaient en train de le faire en 1998, alors que l’absence d’organisation dédiée était perçue comme un frein important (pour 28% d’entre eux) (Ruggles, 1998).
Les publications consacrées à l’organisation de cette fonction labellisée « Knowledge Management » (Gestion des Connaissances) sont assez peu nombreuses et s’inspirent fréquemment du modèle des « knowledge intensive organizations » (ex : les sociétés de conseil). C’est en effet dans ces organisations, pour lesquelles la gestion des connaissances constitue la raison d’être, que l’on trouve une plus grande formalisation et spécialisation des rôles en la matière. Depuis le début des années quatre-vingt dix, on a ainsi vu apparaître les fonctions de Chief Learning Officer, Chief Knowledge Officer, Directeur du Capital Intellectuel, etc.
Danone a, par exemple, mis en place en 2004 une ‘networking attitude’ pour inciter les salariés à échanger les bonnes pratiques éparpillées au sein des filiales dans le monde entier (La Tribune, mai 2005). En France, on peut également citer la société Cofinoga qui a créé, dès le début de l’année 1999, un poste de Knowledge Manager, et le bureau Veritas qui a fait apparaître une fonction de Knowledge Management dans son organigramme à la fin de l’année 1999 (Grundstein, 2004 : 31).
Selon les entreprises, ces dénominations renvoient à des réalités différentes. C’est précisément l’objet de notre étude : observer cette réalité au sein des firmes multinationales et comprendre leur rôle.